Bourses de fin de rédaction 2024

Sara Garneau
Candidate au doctorat en études littéraires-volet création
Représentations du Saint-Laurent dans les œuvres narratives québécoises contemporaines féminines : recherche et création
Le Saint-Laurent constitue le fil conducteur de cette thèse de recherche-création. La partie création y prend la forme d’un roman se déroulant sur la Côte-Nord et mettant en scène des problématiques sociales qui peuvent être associées, de manière non-exclusive, à la ruralité, voire à la nordicité (isolement, alcoolisme, problèmes de santé mentale, dégradation des écosystèmes, etc.). La partie critique, quant à elle, se penche sur sept œuvres québécoises féminines de l’extrême-contemporain, dont quatre se déroulent sur la rive sud du Saint-Laurent (Nous étions le sel de la mer de Roxanne Bouchard, 2015, Le cri de la Sourde de Sylvie Nicolas, 2017, Les falaises de Virginie DeChamplain, 2020, Pas même le bruit d’un fleuve d’Hélène Dorion, 2020) et trois sur la rive nord (Bleu de Myriam Caron, 2015, Fleuve, une tétralogie de Sylvie Drapeau, 2019, et Nauetakuan un silence pour un bruit de Natasha Kanapé Fontaine, 2021). La comparaison entre les imaginaires de la Côte-Nord et de son versant sud fait ressortir certaines caractéristiques associées à la nordicité, un terme proposé par Louis-Edmond Hamelin, qui cherche à décrire « le monde froid », à dégager les traits essentiels de la condition nordique. Comment les caractéristiques du territoire influencent-elles les représentations des rôles sociaux liés aux genres ? Certaines œuvres du corpus suggèrent que des caractéristiques ou visions du territoire nordique contribuent à la valorisation du principe masculin et maintiennent les femmes dans des rôles traditionnels qui ne favorisent pas leur plein épanouissement. Revisitant leur généalogie maternelle, les narratrices critiquent les rôles imposés aux femmes, auxquels elles s’efforcent souvent elles-mêmes d’échapper à travers une démarche d’écriture qui leur permet une mise à distance des legs de leurs ancêtres.
Dans le sillage d’un néo-régionalisme marqué par des figures masculines, depuis les années 2010, plusieurs écrivaines se détournent des espaces intérieurs où elles ont longtemps été confinées pour se tourner vers les grands espaces, qu’elles investissent d’une manière différente de leurs congénères masculins. C’est dans ce mouvement que s’inscrivent les sept œuvres du corpus. À travers un questionnement sur le deuil et l’héritage, ces écrivaines interrogent les rôles sociaux associés aux femmes. Elles réinvestissent l’association classique entre la mère et la mer afin de créer de nouvelles représentations de la vie rurale et, dans certains cas, de la vie nordique, ces imaginaires ayant été largement marqués par la littérature du terroir et par des activités considérées viriles comme la pêche et la navigation. La reprise de la dyade poétique mer-mère permet ainsi de représenter le lien entre l’identité maternelle et le territoire. Le roman de la terre étant principalement dominé par la figure du père, la mère a souvent été représentée comme un objet plutôt qu’un sujet dans la littérature québécoise. De même, le territoire, appréhendé uniquement dans la perspective des intérêts humains, a été généralement considéré comme un paysage où situer des actions et projeter des enjeux humains, voire un bien dont tirer profit. Rompant avec cette vision utilitaire de la nature, les autrices ancrent l’identité des sujets narratifs dans l’espace fluvial.